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N’ayez pas peur de faire appel aux émotions en prise de parole

Doit-on mobiliser les émotions en prise de parole ? Peut-on faire appel aux émotions et à la fois faire preuve d’éthique et s’abstenir de manipuler ?

Oui et oui.

Merci beaucoup, on se retrouve la semaine prochaine pour un nouvel article…

Plus sérieusement, pourquoi ?

Je conçois que si vous êtes un orateur ou une oratrice soucieux·se de l’éthique, (ce que je vous souhaite !) l’idée de devoir « manier les émotions » vous met peut-être un peu mal à l’aise. Ne serait-il pas préférable de convaincre avec des vrais arguments, chiffrés et rationnels ? On laisserait ensuite les émotions aux charlatans et on n’en parlerait plus.

D’ailleurs, vous vous souvenez peut-être de vos cours de français de lycée sur l’argumentation, organisés autour des notions « persuader et convaincre ». On y apprenait notamment qu’il s’agissait de deux concepts diamétralement opposés, d’un côté, persuader mobiliserait aux émotions et de l’autre, convaincre ferait appel exclusivement à la raison. Sous-entendu : il est plus honnête de convaincre avec des arguments factuels qu’avec des procédés nécessairement manipulatoires.

Dans le processus de décision, raison et émotions sont toujours entremêlées.

Grâce aux progrès des neurosciences, nous savons aujourd’hui que la réalité est plus nuancée et que dans le processus de décision, raison et émotion sont toujours entremêlées. Dans L’erreur de Descartes (1994) le neurologue Antonio Damasio l’explique par la théorie des marqueurs somatiques. Lorsqu’un choix se présente à moi, je me représente brièvement les conséquences des différentes décisions que je pourrais prendre. Les émotions entrent en jeu à ce moment-là, et m’assistent en associant à ces images des signaux corporels liés à ma mémoire. Par exemple, si j’ai un souvenir douloureux des épinards de la cantine, je ressens un dégoût physique à la simple idée de goûter à nouveau ce plat.

Et cela va encore plus loin : Damasio démontre que les émotions ne sont pas simplement utiles au raisonnement, elles sont indispensables ! Pour arriver à prendre des décisions sans ressentir aucune émotion, nous aurions besoin d’avoir des capacités de mémoire et de calcul comparables à celles d’un ordinateur. Sans quoi, nous nous retrouverions dans le cas d’Elliot, patient d’Antonio Damasio incapable de ressentir des émotions à cause d’une liaison au cerveau… et de prendre seul·e la moindre décision.

Persuader et convaincre sont donc bien moins distincts qu’on pourrait le penser. Si vous voulez que votre interlocuteur passe à l’action après vous avoir écouté, vous devez absolument prendre conscience des émotions que votre discours suscite.

Donc, pour répondre clairement à la question posée plus haut : faire appel aux émotions n’est pas seulement possible, c’est également indispensable !

 

Raphaëlle Martin